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mardi 7 juin 2011

"Consommé d'EBM avec ses pépites de séduction"

1986. Jeune externe dans un service de médecine interne de la région parisienne, je m'acquitte de ma tâche de mon mieux.
Le jeudi, c'est staff avec le grand patron. J'aime bien le patron. C'est un homme d'une grande érudition médicale et d'une humanité extraordinaire. Aujourd'hui encore il reste un de mes modèles.
De plus, et les médecins comprendront, il est très rare qu'un chef de service de 60 ans prenne 2 h de son temps chaque semaine, pour coacher ses externes.
Je dois présenter le cas de Mme Bidule, mais le dossier est resté bloqué en radio. Impossible de le récupérer avant le staff.

Qu'à cela ne tienne. Je vais le présenter de tête. D'ailleurs, je le connais par cœur. Ce n'est pas très compliqué, même pour un étudiant de 4ème année. Une femme de 45 ans qui souffre d'une anémie ferriprive.
A la fin du staff, le patron m'interpelle dans le couloir : « dites donc, vous connaissez de la même manière les dossiers de chacun des patients dont vous avez la responsabilité ?»
Après une courte hésitation je réponds que je connais mieux les dossiers des patients que j'aime bien. Évidemment, je devrais connaître aussi bien les dossiers de tous mes patients, que je les apprécie ou non. Mais ce n'est pas le cas, et je m'attends à une remontrance. Tant pis, j'ai été honnête.
Au lieu de cela, il éclate de rire et me dit simplement : « les émotions colorent la pratique ! »
Et c'est vrai qu'elle m'avait émue, cette femme qui avait plus du double de mon age, avec ses gestes sensuels, sa chevelure de jais et son sourire de Mona Lisa. Elle avait simplement illuminé ma journée de jeune externe sérieux.
Les émotions colorent la pratique !
Heureusement !!! car, en ce qui me concerne, lorsque je n'ai pas d'émotion, je m'ennuie, et j'ai peu d'émotion à la découverte d'une cystite, ou au traitement d'un ongle incarné !
La découverte d'un cancer m'emmerde. L'infarctus me fait chier. La thrombose hémorroïdaire me fait à peine vibrer.
Pour moi, c'est très clair. L'humain seul fait l'intérêt du boulot !
Depuis 25 ans, donc, je vais de rencontre en rencontre, et comme je ne suis qu'un homme, après tout, je suis sans doutes plus marqué, à postériori, par mes rencontres féminines que par mes rencontres masculines...

Natalia est une petite brune de 28 ans. Avec son mini gabarit, sa frange et ses tatouages, elle paraît juste sortie d'un manga. Je sais de source sûre que son enfance n'a pas été facile, entre un père violent qu'elle ne voit plus et une mère dépressive. Elle a une petite fille qu'elle a élevée seule longtemps et est de nouveau enceinte d'un nouveau compagnon.
Elle exerce une activité saisonnière dans la restauration, tantôt cuisinière, tantôt serveuse ou au ménage... Elle pourrait faire beaucoup plus.
Toujours souriante et de bonne humeur, elle affiche un caractère volontaire et un sourire « à tomber par terre ».
Et lorsque ses patrons lui paru abuser, elle a simplement posé sa démission, sans crainte de se retrouver sans revenu et a simplement trouvé un autre travail.
Le mois dernier, il a presque fallut que je la supplie de s 'arrêter, lorsque, à 7 mois de grossesse, les contractions se sont faites trop nombreuses et trop fortes. Elle a ses principes !
J'aime sa résilience, sa détermination, sa force et son sourire. Cette femme est incroyable !

Valérie a 35 ans environ, vit en couple et a une petite fille de 5 ans. Elle gagne sa vie comme médium sur un site de voyance en ligne. Il n'y a pas de sot métier et s'il y a des gens pour avoir envie de la croire, je n'ai aucun jugement de valeur à porter. Elle est enjouée et communicative, et me parle de temps en temps des esprits qui l'aident dans sa tâche : Un enfant qui n'arrive pas à trouver le chemin de l'au delà, une vieille femme qui ne parle pas et un homme « pas très amical » qui hante sa maison. Ça fait flipper son truc. Quand elle m'a raconté ça, avec beaucoup de naturel, elle a réussit à me donner des frissons ! (j'aime bien les films de fantômes)
Y croit-elle réellement ? Je n'en sais rien, mais elle ne présente par ailleurs aucun signe de psychopathologie. Pas la moindre discordance. Pas la plus petite bizarrerie autre que celle ci. Sa vie de famille est équilibrée et sans histoire, et je suis plutôt enclin à ne rien y voir de grave.
Il y a dix jours, je la retrouve dans la salle d'attente bondée, une jambe en l'air, un magnifique hématome sur la malléole externe.
Je garde toujours un peu de place dans mon planning, pour les urgences de ce genre.
- Et bien alors ! qu'est ce qui vous arrive ?
- J'ai mis le pieds dans un trou, dans mon jardin. Et ça fait vachement mal !
- Mais enfin, comment cela a-t-il bien pu arriver. Vos collaborateurs ne vous avaient pas prévenu ? C'est pas sympa !
Elle me regarde avec un grand sourire et sur un ton espiègle elle réplique aussitôt :
- Mais enfin docteur. Il ne me disent pas tout, voyez vous ! Sinon ça ne serait pas drôle !
Elle est charmante ! Un peu « cintrée » peut être, mais positivement charmante !
Allez. Voyons cette cheville...

Sylvie, 45 ans, a des yeux de biche et un grain de peau d'une douceur incroyable. Du satin, de la soie, de l'organdi ! Lorsque j'examine son rachis douloureux, je me surprends à prolonger quelques instants, le contact de mes mains sur son dos, juste pour le plaisir. Je pense bien qu'elle s'en rends compte, mais elle ne semble pas en être gênée. Au contraire ! Elle penche la tête de coté, s'étire puis se cambre avec une sorte de langueur. Serait-ce mon imagination ?
Nous nous taisons. Je finis mon examen et l'invite à se rhabiller. Elle obtempère avec le sourire. Une sorte de pacte secret nous lie l'espace de quelques secondes sensuelles qui se suffisent à elles mêmes.
Cela ne m'empêche pas de rester professionnel et notre relation reste malgré tout thérapeutique.

Marguerite a 92 ans et toute sa tête. Coquette et un peu coquine, elle se plaît à me rappeler que je ressemble à son premier amour. Je ne suis pas le Dr Freud, mais voilà qui ne me paraît pas totalement innocent.
Son mari décédé revient assez souvent dans nos discussions.
- « docteur, mon mari était marin ! Il passait les trois quart de l'année aux colonies, ou à Bornéo, Sumatra... C'était un chaud lapin, vous savez. Il me ramenait de ces perversions !... Ah, je ne vous raconte pas ! »
- « C'est vraiment dommage que vous ne racontiez pas ! Je sens que ça m'aurait intéressé ! »
- « Ah docteur, vous êtes un coquin ! »
Et bien sûr, nous rigolons tous deux.
A l'instar des crimes des habitants de la ville de Gomorrhe je ne connaîtrai jamais les frasques du mari de Marguerite... tant pis, je les imaginerai. 

Depuis 25 ans, un certain nombre de femmes ont marqué mon parcours. Ce sont mes passantes.
Elles ont fait de ma vie une sorte de consommé d'EBM avec pépites de séduction. 
Je ne pense pas que ces petits moments de fantaisie et de plaisir aient obscurci mon diagnostic ni altéré mon jugement. C'est peut-être même le contraire.
Il me semble que sans ces femmes ma vie professionnelle aurait été bien morne !
Mesdames, ne prenez pas ombrage de cet aveu.  Vous ne saurez sans doute jamais ce que je vous dois.
Laissez moi simplement vous dire que c'est bien plus que ce que je n'ai jamais pu vous apporter moi même.



2 commentaires:

  1. à l'inverse :jeune externe je devais surveiller un gars dans le coma en réa médicale .le patron a passé son nez plusieurs fois pour me surveiller puis m'a convoqué en me disant : vous avez fait parfaitement votre travail mais je vous ai vu : on aurait dit que vous surveilliez un sac à patates. je ne comprends pas. je lui ai expliqué que ce malade(et j'ignore encore pourquoi aujourd'hui) m'inspirait une aversion extrème et que j'étais désolé que ça se soit vu. cette leçon m'a marqué ...maintenant j'ai un peu trop tendance à m'attacher à mes patients surtout ceux qui sont âgés

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